Le renforcement du dispositif de protection du consommateur au Sénégal par l’adoption de la loi n° 2021-25 du 12 avril 2021

Fév 23, 2022

La protection du consommateur a continuellement été une préoccupation majeure dans la politique économique et sociale du gouvernement Sénégalais. La nécessité d’assurer un cadre juridique adéquat à l’évolution du tissu économique a toujours été mise en avant.

Dans cette veine, initialement, les questions relatives à la protection du consommateur étaient régies par la loi n°65-25 du 4 mars 1965 sur les prix et les infractions à la législation économique. Puis, conscient du déphasage causé par l’évolution des pratiques, ladite loi a été abrogée au profit de la loi n°94-63 du 22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique. Dans ce cadre, une Commission nationale de la concurrence a été créée afin d’arbitrer le libre jeu de la concurrence. En parallèle, des règles de protection du consommateur ont été posées et les rapports entre les agents d’exécution et les opérateurs économiques ont été reprécisés.

Malgré tout, la libéralisation de l’économie et l’évolution des modes de consommation, pratiques et techniques commerciales ont renforcé la position de faiblesse du consommateur face aux professionnels mettant ainsi en exergue les limites de la loi de 1994.

Afin de pallier cette situation, la loi n° 2021-25 du 12 avril 2021 relative aux prix et à la protection du consommateur a été adoptée afin de renforcer la protection du consommateur sous toutes ses formes.

Elle devra être complétée par un ensemble de décrets et d’arrêtés d’application.

Son adoption abroge partiellement les dispositions de la loi n°94-63 conformément l’article 156 portant dispositions transitoires.

Ainsi, seules les dispositions contraires sont abrogées notamment les articles 32 à 91 de la loi n°94-63. Dès lors, a priori, les dispositions relatives à la commission de la concurrence et aux pratiques anti-concurrentielles demeurent régies par cette dernière.

La loi 2021-25 consacre 8 innovations majeures renforçant la protection du consommateur notamment :

  • la définition des termes techniques ;
  • l’élargissement du droit à l’information du consommateur;
  • l’identification et la répression des clauses abusives ;
  • la réglementation des pratiques commerciales nouvelles ;
  • la consolidation du dispositif de sanctions ;
  • le renforcement des pouvoirs d’investigation des agents chargés de la mise en oeuvre de la loi ;
  • l’habilitation des associations de consommateurs agréées à ester en justice pour la défense des intérêts collectifs ;
  • la réforme du conseil national de la consommation et l’institution d’un observatoire national des clauses abusives.

Cette nouvelle loi a pour objet de définir les règles applicables aux opérateurs économiques dans le cadre de l’exercice de leurs activités et celles relatives aux prix, qui sont destinées à assurer la transparence et la loyauté des transactions commerciales. A ceci s’ajoute le fait qu’elle définit également les relations entre le consommateur et le fournisseur.

Afin d’assurer l’effectivité de la protection du consommateur, la loi a aussi mis en place au sein du Ministère du Commerce deux organes consultatifs à savoir :

  •  un Conseil national de la consommation (CNC);
  • un Observatoire national de la concurrence (ONCA).

La Commission de la concurrence demeure également compétente pour les questions relatives à la concurrence.

Les apports majeurs de la loi 2021-25 sont les suivants :

  1. Précision du cadre normatif sur le plan technique et institutionnel ;
  2. Consolidation des droits consacrés à la protection du consommateur ;
  3. Règlementation des pratiques commerciales nouvelles ;
  4. Renforcement du dispositif répressif.

1.Précision du cadre normatif sur le plan technique et institutionnel

La loi 2021-25 précise le cadre normatif des règles afférentes à la protection du consommateur sur le plan technique en définissant leur champ d’application ainsi que les termes s’y rattachant (a) et sur le plan institutionnel en réformant les organes consultatifs chargés des questions intrinsèques au droit de la consommation et au droit de la concurrence (b).

  • a. Définition des termes techniques

Initialement, la loi de n°94-63 ne définissait pas les termes techniques lui étant intrinsèque. Également, son champ d’application n’était pas précisé. Désormais, la loi 2021-25 définit au préalable tous les termes techniques afin qu’une information parfaite des contours de la matière soit possédée de tous.

Dans la même dynamique , elle précise expressément le champ d’application des nouvelles dispositions relatives aux prix et à la protection du consommateur.

Ainsi, la nouvelle loi s’applique :

  •  « A toutes les activités de production, de distribution et de prestation de service qui s’exercent sur le territoire national ;
  •  A toutes les personnes physiques ou morales, qu’elles aient ou non leur siège social ou des établissements au Sénégal, dès lors que leurs opérations ou comportements ont un effet direct ou indirect sur le marché ou une partie substantielle de celui-ci ;
  • Aux personnes publiques ou parapubliques dans la mesure où elles interviennent dans les activités citées au point 1 du présent article ;
  • Aux personnes physiques ou morales agissant dans un domaine régi par une réglementation spéciale dès lors que leurs opérations entrent dans le cadre des activités citées au point 1 du présent article. »
  • b. Réforme institutionnelle

Sur le plan institutionnel, la loi n°2021-25 opère une réforme en créant deux nouveaux organes consultatifs au sein du Ministère chargé du Commerce.

D’une part, les articles 148 à 150 instituent un Conseil National de la Consommation (CNC). Cet organe est obligatoirement consulté par le gouvernement sur les grandes orientations et les projets de textes relatifs aux prix, au secteur de la distribution et de la consommation.

Il a pour missions de donner des avis sur :

  • les projets de textes relatifs à la consommation ;
  • la fixation des prix des produits soumis à réglementation ;
  • l’implantation des dispositifs commerciaux lorsque cet avis est prévu par le texte législatif ou réglementaire organisant le secteur.

D’autre part, les articles 151 et 152 instituent un Observatoire National des clauses abusives (ONCA) ayant notamment pour missions :

  • de rechercher, dans les modèles de contrats habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs et/ou auprès des consommateurs, les clauses qui peuvent présenter un caractère abusif et, le cas échéant, d’émettre des recommandations, éventuellement rendues publiques, tendant à obtenir la suppression ou la modification des clauses ;
  • d’émettre un avis sur les projets de textes législatifs ou réglementaires qui lui sont transmis et dont l’objet est d’interdire, de limiter ou de réglementer certaines clauses considérées comme abusives.

Enfin, conformément aux dispositions transitoires édictées par l’article 156, la loi n’opère qu’une abrogation partielle du dispositif de la loi n°94-63 et dès lors, la Commission de la Concurrence qu’elle avait institué demeure en charge de toutes les pratiques anticoncurrentielles conformément à l’article 9 de la loi n°94-63. A ce titre, elle est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet :

  • de soumettre l’exercice d’une profession ou l’accès à un marché à des restrictions ;
  • d’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente.

2.Consolidation des droits consacrés à la protection du consommateur

Afin de renforcer la protection du consommateur qui est constamment en position de faiblesse dans ses rapports avec les professionnels, la loi n°2021-25 élargit considérablement le droit à l’information commerciale (a) et renforce leur protection en habilitant les associations de consommateurs agrées à ester en justice pour la défense de leurs intérêts collectif (b).

  • a.Elargissement du droit à l’information

Initialement, la loi n°94-63 concevait l’obligation d’information commerciale comme le fait d’adopter une attitude loyale vis-à-vis des consommateurs et ce, par une communication correcte des conditions de vente et une bonne information sur les prix pratiqués.

Désormais, l’attitude loyale et la simple communication correcte des conditions de vente ne suffisent plus. Le professionnel est obligé de « mettre le consommateur en mesure de connaître, de façon claire et compréhensible, les caractéristiques essentielles du bien vendu ou du service rendu » conformément à l’article 8 de la loi n°2021-25. Un droit à l’information renforcé est ainsi consacré afin de permettre au consommateur d’avoir une parfaite connaissance des éléments essentiels avant de contracter.

A cet effet, la loi dispose que l’information doit être effectuée par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié et doit renseigner le consommateur sur :

  • les prix ;
  • les éventuelles limitations de responsabilité contractuelle ;
  • les conditions particulières de vente et d’utilisation.

Le même article précise que les mentions obligatoires relatives au marquage, l’étiquetage ou à l’affichage de certains produits seront fixées par arrêté du Ministre chargé du Commerce.

Désormais, pour certains secteurs déterminés par un arrêté du Ministère chargé du commerce, l’acheteur non professionnel peut également se voir délivrer sur demande, une quittance, un ticket de caisse ou tout autre document y tenant lieu.

Par ailleurs, pour les producteurs, importateurs, grossistes ou prestataires de services, l’obligation d’information s’étend à la communication du barème de prix et des conditions générales de vente.

Concernant les règles de publicité, initialement, la loi n°94-63 ne détaillait pas ses modalités. Un décret se contentait de classifier le mode de fixation des règles de publicité de prix.

Désormais, l’article 11 de la loi 2021-25 détaille les règles relatives à la publicité et notamment, les mentions obligatoires devant être mises en évidence à savoir :

  • la nature et l’origine des biens et services offerts ;
  • la période pendant laquelle est maintenue l’offre proposée par l’annonceur.

Par ailleurs, le même article précise que lorsque des opérations promotionnelles sont susceptibles par leur ampleur ou leur fréquence de désorganiser les marchés, un arrêté du Ministre chargé du Commerce fixe pour les produits concernés, la périodicité et la durée de telles opérations.

Enfin, concernant les règles relatives à la facturation, la nouveauté issue de la loi 2021-25 réside dans le fait que d’une part, le législateur étend le champ d’application des obligations y afférente. Désormais, doivent faire l’objet d‘une facturation « tout achat de biens ou toute prestation de services pour une activité professionnelle ». D’autre part, les mentions obligatoires relatives à la facturation sont désormais précisées par les dispositions de la nouvelle loi.

  • b.Habilitation des associations de consommateurs agréées à ester en justice pour la défense des intérêts collectifs

Afin de préserver les droits du consommateur, la loi 2021-25 consacre un droit aux associations agréées à ester en justice pour la défense des intérêts collectifs des consommateurs.

Ce droit leur est consacré aux articles 142 à 145 en vertu desquels lesdites associations se voient conférées deux prérogatives.

La première consiste à agir en justice en exerçant les droits reconnus aux parties civiles en ce qui concerne les faits constituant une infraction aux dispositions de la loi et portant préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre. A ce titre, les associations peuvent demander en justice toute mesure destinée à faire cesser la violation des droits des consommateurs prévus par la loi 2021-25 et en obtenir réparation.

La seconde faculté consiste à demander à la juridiction civile d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur.

3.Règlementation des pratiques commerciales

La loi n°2021-25 ne comporte pas de dispositions dédiées aux pratiques anticoncurrentielles. Son article 156 portant dispositions transitoires maintien en vigueur les articles 1 à 32 de la loi n°94-63 ce qui inclut les dispositions relatives aux pratiques anticoncurrentielles. Il n’y a donc pas de changement sur ce plan.

La loi n°2021-25 se concentre sur les diverses pratiques commerciales et distingue celles qui sont réglementées de celles qui sont interdites.

  • a.Les pratiques commerciales réglementées

Un nouveau cadre réglementé est édicté pour 7 techniques de vente à savoir :

  • la vente à distance de biens, fournitures et prestations de service ;
  • le démarchage ;
  • la loterie publicitaire ;
  • la publicité ;
  • la vente en solde ;
  • les garanties et service après-vente ;
  • la vente à tempérament .

Il s’agit d’une innovation par rapport aux dispositions de la loi 94-63 qui n’abordait pas ces techniques.

En outre, les décrets visés à l’article 33 de la loi 94-63 qui étaient censés prévoir les règles d’application de publicité des prix n’apportaient aucune précision quant au cadre juridique de la publicité.

Concernant la réglementation des prix, la loi 94-63 prévoyait un cadre juridique. Les innovations apportées par la loi 2021-25 sont notamment les suivantes :

  • la réglementation des prix motivée par des circonstances exceptionnelles ne peut désormais se faire que par voie réglementaire, la faculté législative ayant été supprimée ;
  • lorsque des mesures temporaires de régulation doivent être mises en place, l’avis préalable du conseil national de la consommation est désormais requis ;
  • la validité de ces mesures de réglementation/régulation est limitée à un délai de 3 mois.

Des précisions supplémentaires sont apportées à la définition de la notion de prix illicite en supprimant les multiples hypothèses et en généralisant la définition afin d’y englober le maximum de situations.

  • b.Les pratiques commerciales interdites

En parallèle, la loi 2021-25 interdit formellement 7 pratiques commerciales nouvelles à savoir :

  • la vente avec prime ;
  • les ventes sans commande préalable ;
  • les ventes et prestation à la « boule de neige » ;
  • les prix imposés ;
  • l’abus de faiblesse ;
  • les ventes sauvages et le paracommercialisme ;
  • la contrefaçon

Par ailleurs, le législateur apporte des précisions subsidiaires en son article 79 sur une série d’autres pratiques commerciales interdites.

Corrélativement, il complète le régime de 3 pratiques commerciales qui étaient initialement abordées par la loi n°94-63.

  • le refus et la subordination de vente ou de prestation de service pour lesquels les dispositions édictées par la loi 94-63 sont renouvelées et des précisions sont apportées ;
  • la revente à perte pour laquelle les dispositions initialement édictées par la loi 94-63 sont renouvelées et des précisions y sont apportées ;
  • les pratiques discriminatoires pour lesquelles les dispositions du texte restent inchangées.

Autre nouveauté de la loi 2021-25, des dispositions sont dédiées à l’identification des clauses contractuelles abusives. Un principe d’interdiction est posé à l’égard des clauses ayant pour objet ou effet de créer au détriment du non professionnel ou consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et ce, quels que soient la forme ou le support contractuel.

En complément de ce principe d’interdiction, la loi 2021-25 édicte des règles d’interprétation du caractère abusif en vertu desquelles le caractère abusif s’apprécie au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances entourant la conclusion et toutes les autres clauses du contrat. Également, sont prises en compte, les clauses contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution des deux contrats dépendent juridiquement l’un de l’autre.

Par ailleurs, la loi précise que le caractère abusif ne porte ni sur la définition de l’objet principal ni sur l’adéquation du prix/la rémunération au bien ou service vendu pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensive.

Enfin, la loi 2021-25 liste en son article 28 une série de clauses pouvant être considérées comme abusives de part leur objet ou effet et ce, quand bien même elles respecteraient les conditions de validité et ne tomberaient pas sous le coup des critères d’interprétation du caractère abusif.

4.Renforcement du dispositif répressif

  • a.Consolidation du dispositif de sanctions

Initialement, la loi 94-63 détaillait la procédure au sein d’une seule et même section, rendant ainsi confus pour les novices, la compréhension des distinctions subtiles qu’il convient d’opérer entre la procédure de contentieux économique, la procédure administrative et la procédure judiciaire.

A l’inverse, la loi n°2021-25 prévoit une rédaction plus aérée en distinguant la procédure de contentieux économique (Art 96 et s.), de la procédure administrative (Art 107 et s.), de la procédure judiciaire (Art 109 et s.).

Il n’y a pas de changement majeur concernant la procédure de contentieux économique à savoir les dispositions relatives aux moyens de constat des infractions et aux saisies. Des précisions ont été apportées aux dispositions relatives aux procédures administratives et judiciaires.

Concernant les sanctions, elles sont énumérées aux articles 82 à 94 de la loi 2021-25. On observe un net durcissement des peines relatives aux pratiques de prix illicites et aux infractions relatives aux règles d’information. Par ailleurs, la loi innove en édictant un régime de sanctions englobant :

  • les infractions relatives aux techniques de vente ;
  • les pratiques commerciales et autres infractions interdites.

Enfin, la grande nouveauté de la loi 2021-25 est la pénalisation des personnes morales. Désormais, les personnes morales autres que l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, les agences d’exécution ou structures assimilées sont pénalement responsables des infractions prévues par la présente loi (n°2021-25) commise pour leur compte par leurs organes ou représentants. A ce sujet, la loi 2021-25 précise que les personnes morales répondent solidairement du montant des confiscations, amendes et frais que ses dirigeants ont encourus. Les sanctions qu’elles encourent sont précisées à l’article 121. Il s’agit globalement de l’amende, l’interdiction définitive ou temporaire d’exercice, la fermeture, la confiscation, l’affichage.

  • b.Renforcement des pouvoirs d’investigation des agents chargés de la mise en œuvre de la loi

Dans ses nouvelles dispositions, la loi 2021-25 renforce les pouvoirs d’investigation des agents chargés de la mise en œuvre de la loi. Désormais :

  1. le secret professionnel n’est plus opposable aux agents assermentés du commerce intérieur dans l’accomplissement de leur mission (Art 122).
  2. les agents peuvent procéder à la saisie en quelques mains qu’il se trouve des documents susceptibles de faciliter l’accomplissement de leur mission (Art 123);
  3. le mandat de perquisition préalable à une perquisition est n’est plus requis et la limitation de la visite domiciliaire de jour a été supprimée (Art 127) ;
  4. un délai supplémentaire peut être accordé par le directeur du commerce pour la consultation des documents qui leur sont communiqués (Art 132).
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